Bédié s’en va : Ouattara seul maître à bord, mais le PDCI reste un caillou dans sa chaussure

cérémonie d'hommage de la nation à Henri Konan Bédié le 24 mai 2024
Cérémonie d'hommage de la nation à Henri Konan Bédié le 24 mai 2024 © Crédit Photo Sercom Gouvernement ivoirien

Henri Konan Bédié quitte définitivement la terre des humains le samedi 1er juin 2024. Sans le présence Alassane Ouattara. Ferro Bally se prononce.

Ci-dessous son analyse :

Il va reposer à Pépressou, dans la commune de Daoukro (chef-lieu de la région du Iffou). Cette cérémonie de l'ultime adieu enregistre un absent de taille: , le premier des Ivoiriens.

En effet, Magellan a repris l'avion. Tout comme Macky Sall, qui a quitté Dakar pour Marrakech, le 2 avril 2024, dès la fin de la passation des charges avec Bassirou Diomaye Faye, son successeur, Alassane Ouattara s'est envolé, le 25 mai, lendemain de l'hommage national à Bédié. En route pour la Corée du Sud, très loin du territoire ivoirien, il transite par sa meilleure destination: la France.

Les obsèques du successeur de Félix Houphouët-Boigny à la tête et de l'État et du PDCI-RDA, le plus vieux parti du pays, ne peuvent arrêter les aiguilles de la montre. La vie, impassible, continue et les affaires de l'État n'attendent pas.

C'est pourquoi, le lundi 27 mai, le , parti au pouvoir, a tourné la page. Au cours d'une grand-messe, il a promis une victoire éclatante et sans bavure à Ouattara, son « candidat naturel » au premier tour de la présidentielle du 25 octobre 2025.

Cette sortie en fanfare n'est pas anodine. Le pouvoir a choisi de prendre cet engagement sur le « corps chaud », c'est-à-dire non encore inhumé de Bédié, le trouble-fête à l'élection du 31 octobre 2020. Réunissant alors toute l'opposition, il a créé le Conseil national de transition (CNT), qu'il présidait, pour couper l'herbe sous les pieds de Ouattara, candidat à une succession jugée « anticonstitutionnelle et illégale ».

Cette tentative de renversement des institutions républicaines n'a pas prospéré. Tout comme en 1993 quand, à la mort, le 7 décembre, d'Houphouët-Boigny, Alassane Dramane Ouattara a tenté de court-circuiter Konan Bédié, le dauphin constitutionnel, dans un projet avorté de coup d'État constitutionnel.

En réalité, entre l'ancien et l'actuel chef de l'État, le « Je t'aime, moi non plus » a toujours été la règle. Aussi, si Ouattara a sacrifié au devoir d'hommage national à Bédié, il s'est contenté du strict minimum: il ne l'a pas distingué à titre posthume et il a refusé la mise en berne du drapeau comme le pays l'a fait à la disparition, en décembre 2013, de Nelson Mandela, ancien président de l'Afrique du Sud (1994-1999).

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Pourtant si, victime de multiples campagnes de dénigrement et de diabolisation, il a fini par ne plus en avoir l'air, Bédié mérite tous les honneurs de la République. Par son parcours académique et politique unique, il a été un homme d'exception dans le landerneau.

Après de brillantes études, il a gravi tous les échelons et assumé de hautes responsabilités: ambassadeur de Côte d'Ivoire aux USA, à 27 ans (1961-1966), ministre de l'Économie et des Finances (1966-1977) à qui on a attribué le « miracle ivoirien » des années 1970, président de l'Assemblée nationale (1980-1993) et président de la république (1993-1999). Et du 30 avril 1994 à sa mort, le 1er août 2023, il a présidé aux destinées du PDCI-RDA.

Un tel cheminement n'est pas un long cours d'eau tranquille; il est parcouru de peaux de banane et d'adversité. Après la mise sous l'éteignoir de tous les barons, qui ouvrait le boulevard, Alassane Dramane Ouattara est apparu, en 1990 à son irruption sur la scène, comme un grain de sable, capable de gripper la machine.

Nommé premier ministre, après son poste de président du comité interministériel sans être ministre, ce nouveau militant a été bombardé n°2, tout juste après Houphouët-Boigny, dans les instances du PDCI-RDA et bien avant tous les dinosaures et apparatchiks du parti.

Et tout le monde le sait: l'appetit vient en mangeant. Surtout que la première version de la Charte du Nord, parue en 1990, appelait à la mobilisation de tous les ressortissants du nord du pays derrière Alassane Dramane Ouattara pour la conquête du pouvoir d'État.

De ce fait, entre Ouattara, l'héritier putatif, et Bédié, l'héritier présomptif au regard de l'article 11 de la Constitution, ce sera le choc des ambitions. La guerre, au départ à fleuret moucheté, se déroule sur la place publique. En janvier 1993, le groupe parlementaire du PDCI-RDA s'est élevé contre la politique de privatisation conduite par Ouattara. Elle est accusée de sacrifier la souveraineté du pays et de saborder les secteurs stratégiques de l'économie.

Et cette lutte de succession connaîtra son point d'orgue au décès d'Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993, avec d'un côté, les défenseurs du respect de la Constitution en faveur du dauphin constitutionnel, et de l'autre, les partisans du passage en force, en violation de toute règle.

Ouverte, cette guerre sera interminable et sans merci. La coalition du RHDP, créée en mai 2005 pour vaincre le pouvoir de Laurent Gbagbo, n'a été qu'une parenthèse, qui s'est vite refermée en 2018, face aux ambitions irréconciables et aux querelles de leadership.

Bédié, qui nourrissait le secret espoir de revenir au pouvoir, a mis le paquet. Entre les deux tours de la présidentielle de 2010, il a baptisé Ouattara, arrivé en deuxième position pour affronter le président sortant, du nom de « Allah N'San » à l'effet de le faire adouber par la forte communauté baoulé. Mieux, Bédié a pris le contrepied du 12è Congrès ordinaire du parti. Par l'appel de Daoukro, en septembre 2014, il a milité en faveur de la candidature unique de Ouattara pour le compte de l'alliance du RHDP à l'élection de 2015.

Au final, il a été le dindon de la farce. Ouattara ne lui a ni renvoyé l'ascenseur ni fait la passe aveugle qu'il attendait en 2020. Il s'est contenté de le dribbler en donnant son nom au troisième pont d'Abidjan.

Et c'est tout devant la colère noire de Bédié, qui a débaptisé Ouattara. Car toutes les manoeuvres étaient destinées à faire disparaître le PDCI-RDA de l'échiquier. À sa naissance, en septembre 1994, le RDR s'est assigné, aux dires de son secrétaire général, Georges Djény Kobina Kouamé, une mission: « réduire le PDCI à l'état de vestiges au nord et de reliques au sud. »

Pour cela, ce parti, se réclamant de Ouattara qui en est devenu le président en août 1999, s'est allié, en 1995, au FPI de Laurent Gbagbo, dans le cadre du Front républicain, pour porter l'estocade au régime Bédié et au PDCI-RDA. Echec et mat.

De son côté, le pouvoir a préparé sa riposte, une riposte musclée au dernier trimestre de 1999. D'une part, il a fait arrêter et emprisonner presque toute la direction du RDR, à l'issue de violentes manifestations, au nom de la loi anti-casseurs (ironie de l'histoire, c'est cette disposition que le premier ministre Ouattara a revendiquée pour condamner Gbagbo et les « démocrates » en 1992). D'autre part, il a lancé un mandat d'arrêt international contre le président du RDR pour « faux, usage de faux pour ses documents administratifs (ses cartes d'identité ivoirienne) ». Car cet homme, selon Bédié, « se proclamait Ivoirien un jour pair et non Ivoirien un jour impair. »

Vaste coup de filet qui sera sans suite. Le 24 décembre 1999, un an avant la fin de son premier mandat, Bédié est renversé par ce que Ouattara qualifiera de « Révolution des oeillets à l'ivoirienne ». Et quand il accède au pouvoir, en 2011, il va vouloir solder tous les vieux contentieux.

Et contre la volonté ferme de Bédié, qui a refusé la fusion-absorption du PDCI-RDA au point qu'il a claqué la porte du RHDP, Ouattara va utiliser les grands moyens, en s'appuyant sur tous les ressorts de l'État pour asséner des coups de boutoir: chantage, clientélisme, pressions pour débaucher les militants et pousser le parti dans ses derniers retranchements.

Le parti a vacillé mais, progressivement, a repris du poil de la bête. Les dernières consultations générales (municipales et régionales) du 2 septembre 2023 sont venues démontrer que le PDCI-RDA est un vieillard vert. Bédié a tiré sa révérence et une lutte fratricide prend fin. Il part sans avoir réussi son dernier combat: son come back au pouvoir. De plus, sous sa gouvernance, le parti n'a pas été à l'abri des schismes.

Néanmoins, il laisse une machine politique, qui n'a certes pas retrouvé toute sa vitalité, mais qui est ragaillardie. Un signe ne trompe pas: tout le monde, y compris Ouattara lui-même, continue de faire une cour assidue aux dirigeants du PDCI-RDA. Car, il faudra compter avec ce parti pour les prochaines échéances.

En revanche, avec le départ de Bédié, le glas sonne pour un autre héritage d'Houphouët-Boigny: le Prix international de la paix, parrainé par l'Unesco. Depuis l'éclatement des rivalités politiques, ce Prix a commencé à battre de l'aile parce que l'État ne joue plus sa partition: le lauréat de 2019, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali, n'a jamais reçu son prix.

Et le jury, plombé par les antagonismes ivoiro-ivoiriens, ne siège presque plus, au point que depuis 2020, seule une lauréate a été désignée: l'ex-chancelière allemande Angela Merkel. Sans compter que Bédié a été désigné, intuitu personae, protecteur de ce Prix par Houphouët-Boigny.

Et sa mort risque de signer l'arrêt de mort du Prix Félix Houphouët-Boigny pour la Paix, déjà dans le coma. Et Nanan Boigny doit bien se retourner dans sa tombe à Yamoussoukro.

F. M. Bally

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